Contes de coeur de Papiguy

Lettre à un couple dans la tourmente

Bonjour Madame, bonjour monsieur,

Vous vous présentez aujourd’hui l’un et l’autre devant moi et je ne sais pas ce que vous attendez de moi, ce que vous attendez de cette rencontre.

Vous monsieur, me dites que vous avez négligé votre vie de couple au profit de vos autres vies, associative, sportive, professionnelle. Toutes ces activités vous ont demandé beaucoup d’efforts et beaucoup de temps. Enfermé dans votre monde, vous ne l’avez pas vu votre femme se fatiguer, se lasser, se décourager ; Vous n’avez pas pris au sérieux ses colères et ses avertissements. Vous n’avez pas vu sa souffrance, son désespoir, son renoncement. Vous êtes passé à côté de votre fils qui a grandi sans vous.

Vous madame, vous vous êtes occupée de la maison, de votre vie professionnelle, préoccupée par la croissance de votre enfant, ses maladies. Vous avez tenté des ouvertures pendant de nombreuses années et puis vous avez senti votre amour s’obscurcir par l’usure et l’amertume des longues attentes solitaires. Quelque chose en vous s’est cassé. Allez-vous jeter l’éponge ? Renoncer à votre couple ? Êtes-vous dans une impossibilité de revenir en arrière ?

Vous monsieur, alerté intérieurement par l’idée de changer. Puis ce fût le choc terrible et dévastateur : la rupture est annoncée. C’est l’effondrement de vos vœux de vie commune. Vous avez soudain compris. Le tremblement intérieur que cela a généré en vous, a provoqué un saut quantique, votre cœur s’est ouvert. Vous avez pris soudain conscience de l’attachement que vous aviez à votre famille et de l’amour que vous aviez pour votre compagne. Vous vous êtes remis en question, et avez opéré un changement radical de votre comportement et de vos attitudes en famille. Vous l’étranger isolé dans son monde, a muté en homme attentionné, attentif, prévenant, respectueux. Le père apparemment distant s’est rapproché de son enfant.

D’une certaine façon, vous exprimez enfin le potentiel humain que votre femme avait deviné en vous. Vous répondez aux promesses qu’elle attendait. Mais est-ce suffisant pour combler le gouffre de dissonances entre vous ? Est-il encore possible de raccommoder ce qui peut sembler irréparable ? Pouvez-vous recréer la confiance ?Êtes-vous préparé au point de non-retour ? Le non-retour pour votre compagne ? Peut-être le vit-elle comme trop tard ?

Lorsque la tourmente est là, il est difficile d’avoir les idées claires, de pouvoir sonder vraiment ses intentions, ses sentiments, fortement colorés d’émotions fortes et d’instinct de conservation. Difficile de trouver une posture sereine. Les décisions prises dans ces moment-là sont rarement pertinentes.

J’ai besoin de vous rappeler, à tous les deux, cette évidence :

Construire l’amour : Être ensemble, avoir un enfant ensemble, être en charge de l’élever, veut dire envisager l’amour comme une construction qui s’édifie sur des ruines parfois, des délabrements, des frictions. C’est accepter l’autre comme il semble être vraiment, avec ses défauts, ses difficultés, passer au-dessus de l’inacceptable parfois, car on sait que l’amour est au bout d’un tunnel tortueux, rocailleux, qui blesse les cœurs, sans compter les épreuves de la vie qui nous surprennent aux plus mauvais moments.

  Construire l’amour n’est pas vraiment de rapport avec la trop facile mais dévorante fusion amoureuse. Construire l’amour est à l’opposé de la passion destructrice.

Construire l’amour se fait avec le cœur. Le pardon doit balayer la colère et le ressentiment, écarter la suspicion, pour cimenter la confiance qui doit prendre toute la place dans la relation.  La confiance est le premier pas vers l’amour. La confiance se construit quand le cœur est ouvert. Lorsque le cœur est ouvert, vous devenez fragile, exposé à la cruauté des agressions extérieures. Votre cœur chamalow a la texture du corps d’une méduse échouée sur le sable, à la merci des coups de bec des mouettes. Aux coups de bec, on se repli dans ses défenses instinctives. Et pourtant, la complicité se retrouve quand les deux cœurs s’ouvrent l’un à l’autre. La complicité se construit en cultivant et partageant des moments le cœur ouvert.

Quelle que soit la situation, la crise demande à prendre des mesures d’attente viables pour chacun : créer un temps intermédiaire et un espace tampon permettant de respecter, non seulement l’intégrité de l’autre, mais aussi l’espace qu’il a besoin pour se trouver. Des règles de fonctionnement de vie sont alors nécessaires de construire ensemble.

Une espèce de code :

• Vouloir prendre le temps doit s’accompagner de précautions permettant de respecter l’expression des limites de chacun.
• Comment ne pas se faire plus de mal ? quels situations concrètes et non violents mettre en place?
• Exemple :
  • Si vous partagez des moments ensembles, vous êtes complètement là : pas de jeux vidéo, pas de téléphone, pas de réseaux sociaux. Pas de fuites numériques vers un ailleurs.
  • Eviter de se donner des coups de becs (et réfléchir à ce qui bloque votre cœur.)
  • Comment aménager l’espace de façon à préserver vos présences respectives auprès du petit, etc…
• Un tel code doit être revisité toutes les deux semaines de façon à l’améliorer ou l’adapter aux situations nouvelles.

L’élaboration d’un tel code peut être l’objet d’un travail ensemble.

Réflexions pour la suite :

Et puis, il est toujours important, dans des moments de pause, d’arrêt sur image, de retrait, de se poser les questions suivantes :

• Est-ce que je ne suis pas en train de reproduire le comportement d’un de mes parents ou frères et sœurs ? Ou de reproduire un conditionnement induit par le discours, les attentes de nos parents l’un envers l’autre ?
• Comment, à partir de l’expérience de ces dernières années, je peux penser le couple ?
• Comment pouvons-nous, au vu de tout ce qui s’est passé entre vous durant ces dernières années envisager une vie qui préserve l’équilibre de votre enfant commun ?
• Quels sont les éléments les plus importants de votre vie ? Vers où désirez-vous porter votre vie ?